Que de lumières ! C’est ce qui frappe, la nuit, quand on observe le chef-d’œuvre de l’insane architecte. Le ciel en paraît mieux vêtu, avec ses teintes rougeoyantes, bleu glacial, jaune papillon. Elles se bougent comme saoules dans les vallées qu’un rat gigantesque a dû aménager pour se mouvoir dans l’impensable amas de bâtisses ! Car ce doit bien être un rat. Quoi d’autre pourrait vivre dans les immondices laissées par quelque divinité emplie de compassion pour les êtres inférieurs de la terre ? Sans doute un roi rongeur a-t-il du, avec une frénésie d’abeille, agencer toutes ces lignes bancales, apposer ces couleurs étonnement variées, ériger ces pierres. Aucune de ces constructions ne doit plus rien à la nature, pourtant. A l’entrée de la ville, d’ailleurs il n’y en a pas véritablement, se tient le marché. Un promeneur non averti croirait à un jeu pantagruélique de cubes. Là le sol n’est déjà plus le même, il s’est enfui de l’enfer gris, remplacé par la route grasse et bleuâtre sur laquelle roulent des roues en furie se rendant sans attendre on ne sait où, machinerie d’Erèbe au temps de Monotonie. Il y a néanmoins des constructions qui pointent au loin, les démons ont pris soin d’installer leur panthéisme dans des temples des temps anciens, où les croyants croient honorer leur ange gardien.
Ces vieux îlots survivent parmi l’immense étendue des immeubles nouveaux. Ces magnifiques prisons immobilisent des semaines du temps des heureux captifs. Il serait indécent pour la beauté ambiante de la cité de continuer plus avant la description de ces insanités.
Parfois on reconnaît un monument qui trône au milieu du passage de la pauvre population de la métropole, au-dessus d’une boue d’eau crottée et de dépôts sordides.
Cela est chanté par l’observateur du ciel.
Maintenant il pleut. Du ciel on ne voit plus rien. Les passants ouvrent leurs parapluies. L’eau dévale des murs, les dalles doucement vibrent, la ville joue la musique du temps. Mais personne ne s’arrête pour entendre bruire l’égout, pour écouter chanter les charmants esprits de l’ondée. De toute façon ils finiront dans la ville souterraine et immense, le miroir nauséabond d’une pareille surface. Le monde est sombre, le son étranglé, on sent au fond de la langue la puanteur des profondeurs. On est perdu devant une multitude de voies infinies, ou arrêté, bloqué, désespéré, près des seuls passages que la pesante obscurité daigne dévoiler, trop étroits, d’où viendront plus tard, bientôt, quand la faim des sens aura consumé toute volonté, les légions des ténèbres, insectes miroitant de noirceur ou rongeurs maraudeurs des tunnels.
Il vaut mieux rester à la surface. Là où se livre un autre supplice, fratricide, entre les membres de la même espèce de primate. L’empoisonnement par les vapeurs soufrées qui désintègrent les poumons, arrachent la vue, dotent les êtres d’excroissances variées provoquant invariablement la fin irrémédiable de toute maladie qui serait préférable. Ou au contraire, un moment de bonheur, un baiser un amour, un être qui comprend et qui protège, peut devenir le pire des bourreaux en inculquant un mal terrible qui, sans lui-même faire souffrir, ouvre le corps à tous les envahisseurs, paralysant le sang et sa milice.
Soudain tout disparaît.
Sept jours plus tard, la lumière revient. Elle est plus claire, elle brille. La ville a disparu. Certains disent que cela est dommage, qu’on aurait encore pu faire tant. Mais ils savaient que cela aurait une fin. Un chant a toujours une fin.